Julien Irilli et son compagnon de cordée Nicolas Hoffmann sont partis faire une
jolie course d’alpinisme : le Mont Blanc, depuis le refuge Durier, en passant par l’Aiguille de Bionnassay et le Dôme du Goûter. Un très beau voyage d’altitude.
Carte de situation
Le récit de Julien
Le temps. Qu’est-ce que le temps au regard d’une amitié ? Pas grand chose il me semble. On parle d’usure du temps, mais dans certains domaines, cela n’agit pas et c’est réconfortant de le savoir. Tout ce qui nait et se développe n’est pas systématiquement voué à la destruction ! Quelques années se sont écoulées avant que je ne revois la bouille de vieux barbu de mon ami Nico au détour d’un chaos de blocs, sous le refuge de Plan Glacier.
Alors que je guettais le décollage de mon père à l’Aiguille du Midi une demi-heure plus tôt, je me demandais bien comment j’allais pouvoir rejoindre mon compagnon de cordée par la voie des airs si un petit coup de pouce de Dame Nature ne venait pas. Ouf, vœu exaucé !
Décollage à 3600m, face sud de l’Aiguille du Midi, « jetage » comme j’aime en face nord les pieds levés, et long vol plané jusqu’au glacier de Bionnassay.
Premier point dur : malgré les super performances de mon aile Ozone LM5, j’arrive trop bas sous la dernière arête à franchir. Heureusement, une belle envolée de quelques choucas me sauve. Je reprends 500m de dénivelé avec eux dans un thermique turbulent, face au soleil. Je me pose miraculeusement dans le dernier névé sous le refuge.
Je souffle, mais les trois blocs qui se détachent au-dessus de ma tête pendant que je plie ma voile me rappellent que je suis bien en haute montagne, milieu qui demande de l’attention pour nous les humains.
Nico, tout sourire et à peine sorti de sa sieste, m’accueille chaleureusement. Deux potes réunis, deux paires de crampons, un bout de ficelle et une grande envie de monter là-haut, quoi de plus simple ?!
L’époustouflant coucher de soleil vu par les quatre observateurs du refuge Durier ce soir du premier novembre cloue le bec à toutes les questions sur le pourquoi et le comment.
Six couvertures et douze grelottages plus loin, il est 4H00 du matin, l’heure du réveil qui pique ! J’avoue que mes derniers « speed solos » m’avaient presque fait oublier cette forme de supplice. Ce qui va suivre compense largement ces quelques désagréments.
De pentes de neige en parcours d’arêtes effilées, nous arrivons de nuit au pied de l’aiguille de Bionnassay. Nous jubilons ! Les écailles de rocher décollées sur lesquelles nous grimpons rendent ce parcours esthétiquement parfait. Il fait encore sombre, mais je peux sentir l’insondable vide se creuser sous nos pieds, les lumières de la vallée étant si minuscules, et le ciel si proche.
Nous sommes dressés entre ciel et terre au sommet de cette aiguille quand le grand incendie atmosphérique débute. Je pleure. Une déclinaison de rose pour commencer, puis du rouge et du orange. Privilégiés nous sommes d’assister à ça. Tant de beauté. C’est un sentiment étrange de ne plus exister et de faire parti du tout.
Mais comme à chaque fois, un retour sur terre s’impose : l’arête cornichée qui s’étend devant nous tel un fil de soie courbé va demander toute notre attention.
Le dôme du Goûter semble encore inaccessible. Nico carbure comme à la Pierra Menta, mais nous ralentissons pour plus de précision à chaque pas, l’assurage est délicat et la zipette interdite. Le fil étant trop fin, nous alternons les passages d’un côté ou de l’autre, en essayant de porter notre regard plutôt devant nous qu’en bas, gloups !
La dernière rimaye franchie, nous voici assis sur cet immense dôme lumineux, avides que nous sommes d’emmagasiner les dernières calories solaires avant de replonger dans l’ombre du sommet du Mont Blanc. Un mental déterminé, doublé d’un bon mal de crâne, nous propulse au sommet.
Je me sens comme un enfant joyeux quand je sers mon pote dans les bras. Et tout se passe au beau milieu de ce petit univers déclencheur d’émotions fortes qu’est la haute montagne. Images gravées, vais-je avoir suffisamment de place sur mon disque dur cérébral pour stocker tous ces instants ?!
Nico s’apprête à décoller du sommet en parapente. « Reste debout Nico, bor..l !!! » Voilà que je hurle sur mon ami qui cherche à s’assoir dans les dernières foulées de sa course de d’élan, l’aile bien calée sur la tête. Un décollage du toit de l’Europe avec peu de vent demande toujours beaucoup de conviction, c’est une réalité que Nico éprouve une fois de plus !
Je me retrouve seul au sommet, sans aucun empressement, et avec cette petite idée de tirer une grande ligne droite jusqu’ au pied du Mont Charvin, chez moi. Sur le papier, règle à la main, ça doit passer. Mais le papier ne vaut rien face aux éléments.
Scotché face au vent du sud qui s’est invité dans la partie, je finis en pâture à Praz-sur-Arly. Le contraste entre la blancheur monochrome des hautes cimes et les couleurs verdoyantes du monde d’en-bas me saute au visage. Je me dis que nous vivons une époque très spéciale. Tant de possibilités, d’interactions entre humains et avec la nature, le potentiel est quasi-illimité. Tout nous est offert, alors jouons !
Merci à toi, Nico Hoffmann pour ces beaux moments.
Le topo de la course Durier / Dôme du goûter
À lire : le topo complet sur notre site partenaire Camp to Camp
Les actualités de Julien Irilli
Julien présentait en avant-première son film au Festival Montagne et Escalade d’Annecy 2014. Le voici, en version intégrale, intitulé « Gratitude » :
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