La semaine dernière, Niels a pris la direction d’Ailefroide accompagné de Sophie et d’Étienne. Il nous raconte son ascension du Pilier sud de la Barre des Écrins, une face de 1300m et une course d’envergure qui nécessite une bonne condition physique et un certain sens de l’itinéraire !
Un itinéraire mythique
Voie mythique s’il en est, le pilier Sud de la barre des Écrins est un itinéraire de haute montagne engagé, ouvert en 1944 par le célèbre couple Jean et Jeanne Franco, en pleine seconde guerre mondiale, alors que l’alpinisme était encore une activité presque exclusivement masculine.
Un double exploit donc qui marquera l’histoire de l’alpinisme de haut niveau. La première répétition se fera quelques jours plus tard par Karékine Gurékian, et la deuxième l’année suivante par Georges Livanos en moins de 5h30, un horaire exceptionnel encore aujourd’hui. Un itinéraire grandiose, chargé d’histoire et qui reste une grande course de montagne avec ces 1300m d’arête.
Préparation à Ailefroide
Amoureux inconditionnel du massif des Écrins et de la vallée de Vallouise, j’y ai déjà parcouru quelques courses d’ampleur du même style, comme la voie Kelle au Pic Sans Nom, l’arête Coste Rouge ou la voie Fourastier à l’Ailefroide. La Barre, je l’ai faite et refaite, mais toujours par la voie normale. Et à vrai dire, je n’y avait jamais vraiment pensé, à ce Pilier Sud de la Barre.
C’est à l’occasion de vacances improvisées en Juin avec Sophie que nous nous retrouvons à Ailefroide. Nous devions aller dans le Verdon afin d’étrenner le nouveau topo de Leï Lagramusas, mais effrayés par une canicule précoce, nous nous réfugions dans ce bourg portant si bien son nom. En feuilletant le topo d’Ailefroide pour trouver des idées de grandes voies je reçoit un appel d’Étienne qui me propose sa venue pour aller faire tous les trois ce pilier mythique à la journée. Sophie est plus qu’enjouée. Aussi tôt dit aussi tôt fait, Etienne nous rejoint le soir même au camping d’Ailefroide.
Approche sous la bruine
Le réveil est plus que matinal. Minuit et demi. Il faut compter trois heures de marche d’approche pour arriver au pied du Pilier, dix heures d’escalade et cinq heures pour rentrer du sommet de la Barre au pré de Madame Carle. Je n’arrive toujours pas à imaginer Georges Livanos mettre moins de six heures pour faire l’arête. Même Christophe Moulin en 1986 en solitaire ne mettra qu’une heure de moins.
Lorsque nous quittons le pré de Madame Carl à 1h45 du matin, Il fait nuit noire. Un épais voile nuageux cache la lune et répand un petit crachin breton dans toute la vallée. « C’est sympa Brest l’hiver » ironise Etienne sur la marche d’approche. Il est cinq heures lorsque nous attaquons le Pilier. La première partie est facile. Etienne prend la direction des opérations et court comme un chamois dans ce terrain caractéristique des Écrins qu’il connaît encore mieux que moi. Nous arrivons rapidement au pied de la Tête Rouge. Le Soleil est déjà bien levé. Les nuages se sont dissipés. Nous sommes biens partis, bien dans les temps, malgré le fait que nous soyons trois.
Grimpe dans le pilier sud de la Barre des Écrins
La course est réputée pour connaître de nombreux secours dus à la qualité médiocre de son gneiss, mais nous trouvons le rocher meilleur que prévu. Rien à voir avec la voie Kelle ou l’arête Coste Rouge. Oui, certaines prises bougent, mais nous ne sommes pas sur des piles d’assiettes non plus. La course est sauvage, presque aucun équipement, aucune trace : il faut avoir un certain sens de l’itinéraire. En résumé, il faut passer au plus facile, se remettre dans la peau des pionniers qui, dans les années 40 n’avaient ni cordes en nylon, ni semelle Vibram, ni vêtements techniques. Il n’y a rien de dur techniquement, mais ne jamais savoir si l’on est dans la bonne trace, ni sur la bonne voie, cela épuise mentalement.
Après sept heures d’incertitude, sept heures à ce demander s’il faut passer à droite ou à gauche ? Si c’est ça l’écaille dont ils parlent ? Est-ce-que c’est bien ça la niche en rocher brisé ? Si c’est la Tour Rouge ou la Tour Grise que l’on voit devant ? Nous arrivons au pied du Bastion final qui concentre les principales difficultés.
« Baston » dans le bastion !
L’escalade se raidit et les cotations passent du III/IV au V+. Pour ne rien arranger, tout est gelé et une fine couche de neige remplit les moindres aspérités que le rocher nous offre. Deux choses positives : il devrait y avoir moins de chutes de pierres, et l’itinéraire est beaucoup plus évident à suivre. Deux autres le sont moins : ça va être le festival des onglées, et ça promet d’être une vraie patinoire. Et nous ne sommes pas déçus ! Les mains dans la neige, les pieds sur la glace, nous n’échappons à rien ! Relais suspendus en pleine face, l’ombre, les onglées… Voilà de quoi mettre encore un peu de piment ! Ici, le pilier révèle toute sa dimension « Grande Course ». Heureusement, nous touchons presque au but. Une longueur, puis une autre, une dernière encore et nous voilà déjà sortis des difficultés.
Nous attend maintenant l’arête nous menant directement à la croix sommitale de la Barre. Tout le monde nous a mis en garde face à cette arête finale, comme quoi rien n’était fini, que c’était encore long, qu’il fallait rester extrêmement vigilant. C’est pourtant au pas de course que nous arrivons au sommet. Il est 15h. Nous sommes tous les trois à la croix. Quelle bambée !
Descente et retour par le Glacier Blanc
La descente je la connais par cœur, c’est la cinquième fois que je suis au sommet de la Barre. Mais cette fois ci, nous sommes au beau milieu de l’après midi. Le glacier, poudreux en haut devient une gigantesque mare de neige blette à l’approche du refuge des Écrins. Nous nous enfonçons parfois jusqu’aux genoux. Les pieds trempés, assommés de fatigue et de soleil, nous serrons les dents jusqu’à retrouver le chemin du refuge du Glacier Blanc.
En se retournant de temps à autre, nous ne pouvons qu’observer le spectacle désolant que nous offre le réchauffement climatique sur ce sommet magnifique. Deux grandes taches de rochers noirs ont fait leur apparition au fil du temps, donnant l’impression que bientôt la voie normale sera coté 6a/A0. Plus bas, au centre du glacier s’est formée une rivière. Nous ne sommes qu’au mois de Juin et déjà le paysage ressemble à un mois d’Août caniculaire d’il y a quelques années seulement.
Il est 20h lorsque nous arrivons enfin au pré de Madame Carle. Une course digne de son histoire, digne des Écrins, une ambiance grandiose, des paysages à couper le souffle et ce paradoxe sentimental qui nous fait dire à la fois « plus jamais ! », et « quand est-ce qu’on y retourne ? »
Merci à Étienne et Sophie d’avoir partagé ces moments suspendus avec bonne humeur et envie ! Parce qu’avant tout, la montagne, ça se partage !
Merci pour votre lecture,
Niels