Montagne et voyage, telles sont nos passions. Une fois n’est pas coutume, nous sortons de nos sentiers battus et alpins pour une toute autre destination. Stéphane Atlan se trouvait sur l’île de la Réunion en mai dernier. Par chance, il a pu assister à l’un des plus beaux spectacles que peut nous offrir la Terre : une éruption volcanique. Voici son récit.
Bulletin d’activité du dimanche 17 mai 14H00, heure locale (communiqué de l’Observatoire du Volcan du Piton de la Fournaise) :
Activité survenue depuis 8h45 : au cours des dernières heures, l’Observatoire Volcanologique a une intensification de l’activité sismique (200 séismes volcano-tectoniques sommitaux entre 11h00 et 12h30)
À 12h50 (heure locale) une crise sismique plus intense a débuté (5 à 7 séismes par minutes). Quelques minutes plus tard, l’observatoire a commencé à enregistrer d’importantes déformations sur le pourtour du cratère. Une éruption a débuté vers 13h45 (heure locale).
Je rêvais depuis longtemps de voir une éruption volcanique. Ça y est, je suis au bon endroit, et au bon moment ! Il faudra juste attendre un peu : j’étais en plongée ce matin, et impossible de monter en altitude sans risquer un accident de décompression. Je prépare mon sac, de l’eau, un peu de chocolat pour le plaisir, l’appareil photo chargé, la carte SD vide pour les souvenirs.
22H00 : mon taux d’azote est revenu à la normale. Le taux d’adrénaline monte un peu à la vue des nuages rouges sur les hauteurs. Maintenant c’est certain, il y a bien une éruption en cours ! Direction la plaine des Cafres puis à droite, direction la route du Volcan. Traverser la plaine des sables et se garer au parking de Foc-Foc vers 23h30. De là, 1H30 de marche à une bonne cadence pour accéder au Piton de Bert.
Je croise un bon nombre de personnes un peu inconscientes de ce que peut être la météo à cette altitude. J’en vois certains en tongs et short, visiblement partis plus tôt dans l’après-midi, et qui ont eu du mal à revenir jusqu’au parking. Avec le flot de promeneurs qui rentrent, la frontale est presque inutile pour chercher le sentier.
Le ciel est dégagé, il fait frais, mais le spectacle vaut le déplacement. Au loin, dans l’Enclos, on aperçoit les failles qui viennent de s’ouvrir : la première coulée sur la gauche est presque tarie, celle de droite, légèrement derrière par contre, en met plein la vue.
Une fontaine de lave s’échappe sur une hauteur de 60 à 80 mètres ! Le débit est estimé à 47 mètres cube… par seconde ! Je suis à 3km, mais les images sont superbes. J’arrive à voir des morceaux de roches incandescentes s’envoler, puis retomber plus bas. Le bruit participe aussi au spectacle : mélange entre le son des vagues et celui d’une lance de pompier !
En regardant bien la fontaine de lave ci-dessous, on arrive à distinguer juste en-dessous, à droite, un petit point bleu : c’est la frontale de ce que je suppose être un vulcanologue. Je l’envie… Et pourquoi pas moi ?
Je reste une heure à contempler ce qui ressemble à un feu de forêt. Les nuages montent lentement de la côte et commencent à masquer la vue : la lumière de la coulée se dissipe peu à peu dans les nuages. La fontaine devient floue, puis disparait. Il est 2H00 du matin, je fais demi-tour et rentre à la même cadence jusqu’au parking
Je rentre à la case avec des images plein la tête ! Mais avec une certaine frustration : j’ai envie d’en voir plus ! Mardi soir, je remets ça…
Bulletin d’activité du mardi 19 mai 17H00, heure locale
Faits marquants depuis le début de l’éruption : l’intensité du trémor éruptif sur la station de Château Fort (à proximité des fissures) est constant depuis 24 heures (il est divisé par 5, par rapport au début de l’éruption). À noter que 51 séismes volcano-tectoniques sommitaux ont été enregistrés depuis le début de l’éruption. L’OVPF surveille toujours avec une très grande attention ce phénomène.
J’ai consulté la météo et le site de l’OVPF, écouté la radio : le temps se dégrade et la coulée diminue, le débit est désormais à 11m3/s. Je pars quand même, il se peut que demain il n’y ait plus rien. La route vers le volcan est beaucoup plus chargée : je ne suis pas le seul à vouloir en profiter. L’arrivée à la plaine des sables est particulièrement marquante ! Habituellement c’est un désert. Ce soir, ce n’est qu’une file de voitures qui partent du parking, celui-ci n’est pas assez grand pour contenir tous les visiteurs qui se garent un peu n’importe comment. Les plus courageux feront une heure supplémentaire de marche pour assister au spectacle. Avec le sentier pour aller jusqu’au Piton de Bert, cela fera 6 heures de marche pour eux !
Je repars vers le Piton de Bert à mon tour. La météo s’est vraiment dégradée : nous sommes dans les nuages. Visibilité : 3 mètres. La frontale devient éblouissante dans ces conditions. Ce soir, je croise encore des promeneurs pas du tout équipés pour la circonstance, certains sont frigorifiés. Mais l’inconscience pousse des parents à emmener aussi leurs enfants, à peine plus vêtus et chaussés.
Malgré un tee-shirt, une polaire, une veste et un grand coupe-vent mis par-dessus trop tard, j’arrive au Piton de Bert en étant trempé et gelé. Impossible d’aller plus loin, le sentier n’est pas assez balisé, trop de risques de se perdre. Une heure sur place à attendre que le ciel se dégage, en vain. Juste une petite fenêtre pendant laquelle j’apercevrai la coulée, mais le temps de sortir l’appareil photo du sac, il est trop tard ! Le résultat est décevant. Fatigué, je prends le chemin du retour, il n’y aura pas de clichés ce soir. C’est une grosse déception.
Mais cette déception, et la vision des photos d’un ami qui s’est rendu sur place, seront sources de motivation pour y retourner. Et cette fois, de plus près, beaucoup plus près. Je monte une expédition avec des amis, nous serons 4.
Nous sommes d’accord pour nous approcher au plus près de la coulée et du cratère. L’accès à l’enclos est théoriquement interdit : nous serons donc très prudents sur la préparation et le déroulement de l’expédition.
Sac à dos, polaires, veste chaude, protection contre la pluie, casque, chaussures de rechange au cas où elles fondraient, vêtements de rechange, nourriture, eau, détecteurs de gaz, frontale, avec batterie de secours, appareils photos, couverture de survie. Je pense avoir tout pris.
Bulletin d’activité du vendredi 22 mai 19H00, heure locale
L’éruption qui a débuté le dimanche 17 mai 2015 se poursuit. Activité sismique : depuis 30 heures, le trémor montre des fluctuations importantes avec des périodes durant lesquelles son niveau double.
Ce soir, nous n’avons croisé pratiquement personne sur l’accès au site. 18H20 : nous nous retrouvons au parking de Bellecombe. Altitude : 2250m. Nous nous équipons et descendons vers l’enclos. Il fait déjà nuit. Par mesure de sécurité nous contournerons le piton de la Fournaise par la gauche, sur le sentier de sécurité, balisé tous les mètres. Les flèches au sol, indiquant la direction du parking, nous font face.
Ce coup-ci, nous sommes vraiment partis. La météo est avec nous, le ciel est dégagé : pas un nuage à l’horizon. Nous marchons depuis 1H15 sur un sentier, à une moyenne de 3 km/h, quand le balisage disparait. Nous hésitons un peu avant de retrouver notre chemin : le plan de la zone et le GPS nous aident à nous repérer.
Le terrain devient plus cassant, plus fatiguant. La roche stable a fait place au grattons de lave qui, petits, s’écrasent sous nos pieds, et plus gros, roulent et nous font, quelques instants, perdre l’équilibre.
Plus loin encore nous rencontrons des zones où les lichens ont colonisé le terrain, qui devient humide et glissant. Nous continuons notre évolution ainsi pendant encore 45 minutes, avant de voir les premières lueurs de l’éruption.
Le terrain devient de plus en plus difficile, le sentier enchaine des montées et des descentes dans des grattons ou du cristal qui roule sous nos pieds. Nous continuons notre progression guidés par la luminosité au loin. Nous aurons mis 3H30 pour atteindre la coulée en toute sécurité, sans jamais avoir croisé de coulée récente.
Nous arrivons sur le site, la coulée est devant nous bien vivante, nous l’entendons gémir sous la poussée de la lave, nous la voyons se former, se déformer devant nous. La roche encore rouge craque là, juste là. Nous sommes à 2 mètres de l’enfer, et c’est le paradis !
Nous faisons une pause et nous profitons de la chaleur pour évacuer la transpiration de nos vêtements. Le spectacle est superbe, la lave se fraye un chemin parmi la roche qui commence à refroidir.
Au-dessus de nous un débordement de lave vient de se produire, en moins de 10 minutes voilà ce qui s’est déversé. Nous sommes en sécurité sur une pente opposée à la coulée, nous profitons de la vue, du bruit mais aussi de l’odeur de soufre. Le détecteur de gaz reste silencieux.
Nous restons sur place plus d’une heure et nous mitraillons à bonne distance de la bouche volcanique…
23H00 : nous remontons le long de la coulée jusqu’à une rivière de lave. Nous restons 50cm en retrait, il est impossible de s’approcher plus sans que les appareils photos se mettent en défaut.
C’est un véritable mur thermique, le rayonnement est extrême, la rivière de lave est là, 3 mètres plus bas, pour l’instant contenue entre les berges qui se sont solidifiées. Les émanations de SO² sont très fortes. Nous ne resterons pas longtemps : de toute façon, nous commençons à sentir la chaleur à travers les semelles des chaussures. Il est temps d’évacuer la zone si nous ne voulons pas finir en chaussettes.
Nous continuons notre remontée jusqu’à la source de cette rivière, 200m plus haut. Nous contournons au large la bouche d’où s’échappe une fontaine de 15-20m. Le volcan tousse, respire, crache du magma. Des morceaux ressemblant à de la bouse s’envolent. La matière est très légère. Avant de retomber, elle est quelquefois prise en charge plus bas par la fontaine et repart pour un tour. Plus nous nous approchons, et plus nous sentons vivre ce volcan.
Nous retrouvons un autre petit groupe et nous profitons tous du spectacle. Il n’y a plus besoin de lumière, tout est calme autour de nous, pas un nuage, il fait froid et face à nous : ce cratère qui se construit et qui nous brûle le visage. Nous avons tous oublié la crème solaire !
Nous nous installons pour passer la nuit sur place. Le sol est jonché de petits morceaux de lave froide. Quand nous marchons, nous entendons crépiter sous nos pieds, comme si nous marchions sur du verre pilé.
1H00 du matin : c’est l’heure d’une vraie pause, la nuit sera longue. Nous nous allongeons face au cratère, les conditions sont rudes mais nous sommes installés comme dans un canapé, avec une télé HD 3D et un son dolby surround 5.1. Quelques-uns arrivent à s’endormir, nous n’avons pas pensé non plus au pop-corn !
Le film continue, nous ne savions pas encore que nos tickets d’entrée étaient valables pour des sièges avec simulateur de mouvements.
1H30 : nous sentons une secousse sous nous, accompagnée d’un grondement. Tout le monde se retourne, regarde en amont à la recherche d’une faille qui se serait ouverte : RAS.
Vingt minutes plus tard, la fontaine de lave qui, ne faisait jusqu’alors pas plus de 20 mètres, est en train de monter en puissance : en dix minutes, elle s’élève à 60-80m. Le cône se construit sous nos yeux. En deux heures, le sommet est monté de 20-25m. La base du cône s’est également agrandie.
4H00 du matin, c’est la catastrophe : l’indicateur de la batterie de l’appareil photo est passé au rouge. Je vais devoir économiser si je veux avoir un souvenir du lever de soleil.
Nous continuons notre film en grand écran et à ciel ouvert. Sans lumières artificielles, nos yeux s’adaptent et nous voyons les étoiles derrière nous, et au loin, sur la crête, les frontales de ceux qui sont venus voir le spectacle depuis le piton de Bert. Cette fois ce sont eux qui nous envient ! Pour leur donner du courage et les motiver un peu, nous leur faisons des signes avec nos frontales. Le jour se lève, j’arrive à réveiller mon appareil photo, le temps d’immortaliser la beauté du paysage.
Il est temps pour nous de rentrer. Après avoir longuement discuté avec l’autre équipe sur site, nous décidons de rentrer par l’autre côté du volcan. Nous aurons quelques coulées encore chaudes à traverser mais cela ne devrait pas nous mettre en danger pour autant.
8H00 : terminé le silence. Les hélicoptères commencent leurs ballets incessants au-dessus de nos têtes. Ils ont mis 7 minutes à venir de leur base, à Saint Leu. Ils font le tour de l’enclos, survolent la faille, et repartent 10 minutes plus tard. C’est rapide, bruyant et en fait, je suppose qu’ils n’ont rien vu. Le vrai spectacle se mérite, comme toujours.
Finalement, le retour par le sud ne s’avère pas être une très bonne idée. Avec toutes les coulées successives, il n’y a plus de sentier ni de balisage. Nous ne sommes pas perdus, mais le fait qu’il fasse jour y est pour beaucoup. Il aurait été difficile de faire le parcours inverse de nuit. Je profite d’une pause sur un col pour faire un panoramique depuis un petit cratère.
Le retour est long, la fatigue commence à se faire sentir ! Le groupe s’étire sur plusieurs centaines de mètres. Quand les difficultés s’achèvent, nous essayons de sortir de l’enclos au plus vite, avant que le soleil ne se fasse trop chaud.
Nous nous attendons tous au bas de la montée de Bellecombe. Dernier ravitaillement, les bouteilles sont vides : il était temps d’arriver. Nous montons et nous nous apercevons qu’il a fait vraiment froid cette nuit. Il est 11H00, et les flaques d’eau à l’ombre sont encore gelées. Nous sortons de l’enclos, comme nous y sommes entrés, sans la clé !
11h30, retour au parking, boire un peu, mais ne pas faire de pause, au risque de passer la journée à dormir sur place. Cela fait en moyenne 30 heures que nous sommes debout, et il faut encore presque deux heures pour rentrer, et prendre enfin une douche.
Conclusion
Tout comme une voie difficile et technique en haute montagne, approcher de près un volcan en éruption requiert un savoir-faire, des compétences, et un matériel particulier (détecteurs de gaz, etc.). N’hésitez pas à faire appel à des professionnels qui sauront vous guider.