Notre breton favori, Raphaël Georges, a eu son proba de ski. Mais ce qui est énorme, c’est qu’il est allé fêter ça en faisant le Couloir Nord direct aux Drus (ED, VI, A1, 5c, 5, M8+, 800m), avec un nouveau compagnon de cordée : Émile. Nous leur souhaitons d’aussi belles courses que celle-ci !
Le récit de Raph
Mardi 11 mars, 17h10. C’est bon, c’est officiel même : je tiens debout sur des skis ! Enfin c’est ce que semble dire la présence de mon nom sur cette liste des candidats acceptés. Deux mots, 14 lettres pour un proba de ski en poche. Joie et soulagement, je ne suis pas encore guide, mais ça en suit le chemin. Pour fêter ça, j’ai bien l’intention de profiter des bonnes conditions qu’il y a en ce moment sur le massif…
Les conditions et la motivation sont là, il ne manque plus que le compagnon. C’est là que je rencontre Émile, un alpiniste au parcours assez atypique, puisqu’il commença en guise d’initiation par le Z à la Meije, la face nord des Jorasses, ou encore celle des Droites. Bref, un solide gaillard qui en veut.
Rapidement, nous nous montons la tête en imaginant des projets plus ambitieux les uns que les autres. Tout y passe : Nant blanc, Éperon Walker en hivernale, Envers du Mont Blanc., etc.
Lorsque l’un de nous en arrive à proposer un enchainement des 3 mythiques faces nord (à savoir Eiger, Cervin, et Jorasses) dans la journée avec liaison en trottinette, nous décidons de stopper nos délires. Une voie en face nord des Drus suffira amplement pour une première course ensemble. Nous jetons notre dévolu sur la Allain / Leininger, qui est déjà un beau morceau en hiver.
La descente par les Oreilles de lapin, malgré le poids des sacs, est agréable. La neige du couloir, délicieusement revenue sous la chaleur du soleil, nous offre une version moquette très skiable. Les Drus, sous la lumière du soir qui leur confère un manteau doré, perdent en austérité mais pas en attractivité.
Une fois de plus l’imprévu, qui est plein de surprise (sic), nous fera changer nos plans. Un petit étourdi (pour une fois, il ne s’agit pas de moi) a oublié ses crampons. Tant pis, nous rentrons à Cham avec dans l’idée de revenir dès le lendemain matin : avec les crampons, et pour faire le Couloir Nord.
Le lendemain, le ton est rapidement donné : 90 km/h de vent nous cueillent au sommet des Grands Montets, et la moquette d’hier a été remplacée par du carrelage. Bref, tous les ingrédients sont réunis pour une bonne approche combat. La rimaye est franchie vers 11h30, plus que 10h de goulotte !
Après 200m de couloir/goulotte en corde tendue, nous voici au pied des difficultés, et aussi au niveau de l’intersection entre le Couloir Nord et le Nord Direct. À gauche, le Couloir Nord emprunte un grand mur qui se gravi par 5 longueurs de mixte/dry. Ce mur d’environ 200m, impressionnant de verticalité, semble à la hauteur des difficultés annoncées (M7+). À droite, le Couloir Nord Direct emprunte une monstrueuse cheminée qui, dans les 2 dernières longueurs, semble être déversante. Pour pimenter l’affaire, la dernière est verrouillée en son sommet par un bouchon de glace…
En regardant cette ligne, une fois de plus, changer nos plans nous apparait comme une évidence. Nous jetons un inutile coup d’œil au topo : M8+, prendre 2 jeux de friends. Tant pis pour le deuxième jeu, et c’est parti pour le Direct ! Nous sommes excités comme des gosses devant un énorme paquet cadeau.
La première longueur, qui semble plutôt débonnaire par rapport au crux qui nous attend plus haut, nous met bien dans le bain : ouch ! C’est raide ! Il s’ensuit une petite longueur de transition, et de nouveau une superbe longueur, alternant mixte technique, glace fine, renfougne et ancrages précaires. Un bon morceau que nous enchaînerons tous les deux.
Nous sommes donc au pied de la longueur-clef, et c’est à mon tour de prendre la tête. Ah ! Qu’il est dur de quitter la rassurante grimpe en moulinette ! Je suis partagé entre l’envie de fuir et la hâte de grimper cette longueur d’anthologie. Prenant mon courage à deux mains, ainsi que mes piolets (enfin un dans chaque main hein…), je me lance.
Rapidement, l’appréhension fait place au plaisir. Le plaisir de trouver le bon ancrage, celui de ne pas trop forcer (ni trop peu) et de maîtriser son escalade, et aussi (il faut le dire), le plaisir de rentrer le coinceur qui va bien ! Vous savez, celui avec lequel on peut moufler un camion…
Le passage du bouchon de glace, plus impressionnant que dur, va apporter la dimension psychologique à la longueur : 15m de plaquage à 95° plein gaz. Pas fâché d’arriver au relais tout de même.
Lorsqu’Émile me rejoint, il fait, comment dire…nuit ?! Mais où sont passées les heures ? Gaillards d’avoir tous deux enchaîné la voie, et comme il ne nous reste qu’une longueur avant la fin des difficultés, nous décidons de continuer. Nous nous arrêterons 150m avant la fin du couloir à cause d’un problème de frontale dont je préfère, pour ma crédibilité d’alpiniste, taire les détails. Indice : c’est du même niveau que mettre les piles dans le mauvais sens.
Une fois de plus la Vierge du Dru m’aura échappée ! Pas de doute, il va falloir y retourner. Par le Couloir Nord classique peut-être ?
Nous descendons évidemment de nuit, en rappels par la voie. Les relais sont fraîchement ré-équipés, nous apprécions ! Ne pas hésiter à faire tous les rappels pour éviter de coincer la corde. Nous bivouaquons sur le glacier, au pied de la face, à l’abri.
P.S. : Émile, j’ai réussi à rédiger tout un article sans faire allusion au fait que tu aies fait tomber ton duvet dans une crevasse au moment de se coucher. Pas mal, non ? Oups ! Raté. :-)
Couloir Nord Direct des Drus : le topo
Historique
Walter Cecchinel et Claude Jager, pour le Couloir Nord des Drus (du 28 au 31 décembre 1973).
Rick Accomazo et Tobin Sorenson, pour le Couloir Nord direct (1977).
Topo
Altitude min / max : 2775m / 3754m
Altitude du début des difficultés : 2900m
Dénivelé des difficultés : 800m
Dénivelé de l’approche : 125m
Configuration : face, couloir, goulotte
Orientation principale : N
Temps de parcours : 1 jour
Cotation globale : ED
Engagement : VI
Qualité de l’équipement en place : P3
Cotation escalade artificielle : A1
Cotation libre obligatoire : 5c
Cotation glace : 5
Cotation mixte : M8+
Approche
Des Grands Montets, traverser en direction de L’oreille de lapin en remontant un peu sur la Petite Aiguille Verte. De là, descendre dans un couloir raide. Prendre un gauche un autre couloir raide nécessitant souvent un petit rappel. On prend pied sur le Glacier du Nant Blanc. Le traverser pour arriver rive droite du Glacier des Drus (au plus haut, pour éviter les crevasses). 2h sans se tromper et sans trop brasser.
Attaque
Remonter le couloir débutant en haut du Glacier des Drus.
Après 200m, continuer droit sur 2 longueurs de 60m mixte en dalle (ou prendre à droite vers le couloir Nord Direct)
Couloir Nord Direct
5 longueurs de glace raide : sections à 90°, 10m surplombant, avec un court passage d’A2.
Couloir de sortie
300m entre 65° et mixte
Descente, au choix
En rappel dans la voie, ou par le couloir SW, ou par la voie normale du Petit Dru, ou par la voie normale du Grand Dru.
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Couloir Nord direct aux Drus, par Raphaël et Émile – Montania Sport
Aller faire les drus sans crampons, ni frontale, ni sac de couchage en prenant la première benne, ça commence à rajouter de l’engagement technique !
Vous vous êtes faits des baudards en cordelette aussi ? :p
Superbes photos en tous cas! Et le crux final a l’air costaud aussi!
Bééé…. trop beau! Merci et bravo pour le texte et les images!