Nos compères Raphaël et Rémi sont partis faire une « petite balade en face nord » (titre initial de cet article, sic !), plus précisément à l’Eugster direct, à (dans…?) l’Aiguille du Midi. Des conditions biens sèches et de superbes passages mixtes, voici le récit de Raph.
Bien souvent j’ai entendu Alex me charrier parce que dès que l’escalade devient un peu trop « dalleuse », je suis obligé de délayer les mollets. Lui non. Enfin, il faut tout de même savoir que le bougre, même dans la vie de tous les jours, se déplace sur la pointe des pieds. Soit, tout un chacun sa méthode d’entrainement ! :-)
Pour ma part, je prends le mal par le mal : rien de mieux qu’une petite goulotte, si possible en glace bien dure, si possible de plus de 1000m, pour développer son anatomie. C’est partie pour la goulotte Eugster direct, en face nord de l’Aiguille du midi.
Le Eugster direct, direct ça oui, il l’est. On ne peut rêver ligne plus évidente et pure : 1000m de voie s’élèvent d’un seul jet pour finir sous la benne de l’Aiguille du Midi. Du coup, on s’évite les topos du genre « après la troisième veine de quartz, prendre le cinquième dièdre à gauche en direction du petit toit octogonale caractéristique ». Non, aujourd’hui pas de fioriture, on trouve le bon couloir et c’est tout droit, tant que ça monte (après on s’arrête, sinon on se retrouve en Italie).
La goulotte, malgré la longueur, est donnée en un temps assez court une fois la rimaye franchie : 4 à 8 heures. En fait, les difficultés sont assez courtes, 250m, et comprises entre 2 pentes de neiges et glaces de faible inclinaison (45-65°). La goulotte peut donc s’envisager à la journée en prenant la première et la dernière benne à l’Aiguille du Midi. Nous choisirons l’option descente à ski par la Vallée Blanche. Pour cela, nous espérons trouver une âme charitable afin de déposer nos skis au sommet de l’Aiguille. En gros, ce matin, nous faisons du « stop-ski » (désolé) !
Une fois ces menus détails réglés (merci à Liz et Jamel !), après une marche d’approche, qui brasse, mais pas trop, après la remontée du couloir qui brasse plus, nous voici avec Rémi au pied des difficultés.
Dialogue :
- Rémi : « je suis pas expert mais, une goulotte, c’est pas un truc avec de la glace ?? »
- Raph : (silence…)
- Rémi : « tu as tes chaussons de grimpe ? »
- Raph : « ouai ! Ils pèsent 1300 grammes à chaque pied et y’a des pointes en métal qui dépassent ! Tu as d’autres questions ? »
C’est ainsi que nous nous faisons remonter le moral au plus haut point. En fait, en y regardant bien, il y a de la glace. Il y a même tout ce qu’il faut, mais celle-ci est tellement noire que nous l’avions confondue avec le caillou. Ceci dit, elle est tellement dure au toucher que c’est sensiblement la même chose.
Il va sans dire que chaque longueur fut un combat contre la crampe de mollet, en particulier sur les sections « faciles », peu raides, où les membres supérieurs ont du mal à s’exprimer pleinement. Malgré ce petit inconvénient, l’escalade est vraiment variée et nous laisse aussi très peu indifférents, tout comme nos triceps suraux. Au programme : fine goulotte, mixte, bloc coincé, glace raide, etc.
Après plus longtemps que prévu, nous arrivons au sommet des difficultés. Car comme le dit si philosophiquement Rémi : « ça grimpe c’te merde » ! Pour la première fois depuis la rimaye, nous voyons le téléphérique, nous rappelant que nous sommes sur l’un des sommets les plus fréquentés des Alpes.
Étant donné l’horaire tardif, l’incessant « next leaving to Chamonix in few minutes » ne viendra pas rompre notre solitude. C’est donc sous la lueur du soleil couchant que nous remontons les pentes de neiges. Instant magique, suspendus au-dessus d’une mer de nuages aux couleurs flamboyantes, etc. (oui Monsieur Lamartine, il n’y a pas que toi qui……bref, on s’est compris.)
Nous atteignons la grotte de glace à la nuit tombante tombée (ceci est un trait d’humour, oui, trait, c’est le bon mot, pour dire que la nuit est tombée plus rapidement que d’habitude). Il est 20h, le bon vieil adage « justesse et robustesse » est remplacé par son cousin « faiblesse et mollesse ». Nous décidons de dormir à l’Aiguille pour descendre « tranquillement » le lendemain par la Vallée Blanche.
Topo du Couloir Eugster direct
Altitude min / max : 2310m / 3842m
Dénivelé : +1530m
Dénivelé des difficultés : 1000m
Configuration : goulotte
Orientation principale : NW
Temps de parcours : 1 jour
Pente : 90°
Cotation globale : TD
Engagement : IV
Qualité de l’équipement en place : vu 2 pitons plus un relais. Le relais était inaccessible étant donné le faible enneigement. Prévoir de quoi faire les relais. Nous avions pris un jeu de friends Black Diamond, du bleu au jaune, 3-4 micro friends, un petit jeu de cablés et 7 broches.
Cotation glace : 5
Cotation mixte : M4+
Première ascension
Michel Hugonnot et Jacky Marjoux, le 24 juin 1964.
Approche
Depuis la gare intermédiaire du téléphérique de l’Aiguille du Midi, remonter la moraine sous l’Aiguille du Peigne en direction du plateau des Pélerins et longer entièrement la base de la face nord de l’aiguille du Midi. Passer l’éperon rocheux le plus bas, à l’aplomb du sommet de l’aiguille et remonter, juste derrière le large cône d’avalanche jusqu’à la rimaye. De la gare intermédiaire : 1h à 2h selon la qualité de la neige.
Itinéraire
Remonter le couloir sur 500m, un petit ressaut à 65° au début, puis le couloir se redresse progressivement 40° à 60°, ou parfois mixte sur la gauche. On vient buter sous les premières longueurs de la goulotte. Une première longueur traverse en ascendence à droite (70°, relais équipé 1 piton). La longueur suivant est étroite et raide 70° à 80°(1 piton dans la longueur). En période sèche faire relais quasiment en haut de la glace et faire un petit rappel pendulaire 5 à 6m (abalakof)à gauche pour accéder à une toute petite vire au pied de la goulotte issu du bloc coincé. La longueur suivant est moins raide (70°) mais délicate. Faire relais sous le bloc coincé (1 vieux piton et un autre au dessus). On est protégé s’il y a du monde au dessus. Passer par la droite pour sortir du bloc coincé. La longueur de sortie est la plus raide, mixte parfois (80° puis 90°, 20 à 30m). Un camalot 0.5 coincé dans la fissure à droite au niveau du crux. (On peut l’échapper par la gauche dans du mixte délicat au milieu entre le bloc coincé et le crux.) Relais au dessus du crux à gauche (1 piton).
On débouche alors dans une vaste pente de neige ou glace directement à l’aplomb de la gare du téléphérique. La remonter en ascendence vers la gauche, pitons le long du rocher en cas de pente soufflée (fréquent) ou chargée. On rejoint ainsi l’arête de l’aiguille (40° à 65°, 150m).
De la rimaye au sommet, compter 4h à 8h.
Descente
C’est une des particularités de cette voie, la descente, si vous tenez l’horaire, si le temps ne se dégrade pas trop, si le vent ne souffle pas trop fort se fera en téléphérique.
Si pas malheur vous devez subir une des désagréables surprises citées ci dessus, 3 solutions:
1- Soit passer la nuit au refuge des Cosmiques. Descendre l’arête de neige puis les pentes de neige en direction du sud. Une fois au col du midi traverser sous l’arête des cosmiques et remonter une pente de neige à droite (ouest) et rejoindre facilement le refuge. 3613m, 30 minutes depuis la grotte de glace de l’aiguille. Téléphone: 04 50 54 40 16.
2- Soit passer une mauvaise nuit dans les couloirs du téléphérique (en principe interdit, mais toléré en cas de force majeure).
3- Soit redescendre par la vallée blanche et la mer de glace ; long, long, long…et crevassé !
Remarques
Magnifique goulotte, la plus directe, un véritable trait de glace, évident, jusqu’au sommet de l’aiguille du Midi. Conditions facilement repérables en arrivant sur Chamonix, à hauteur du village des Pélerins.
C’est une goulotte classique, ouverte en 1964 par des grimpeurs en avance sur leur temps ! Elle est le plus souvent parcourue en automne ou au printemps.
Bien que pas tout à fait Nord cette goulotte ne voit pas le soleil car elle est très encaissé. Seule la pente sommitale est en réalité plein Nord.
La face Nord de l’Aiguille du Midi est haute (1 000m) et la remontée du couloir permet d’arriver au pied des longueurs dures déjà » échauffé ». La difficulté des longueurs est encore une fois directement liée aux conditions, bien repérer aux jumelles. Mixtes, les longueurs deviennent très sérieuses.
L’ambiance de cette goulotte est exceptionnelle, elle pénètre littéralement dans la face, encaissée entre deux larges éperons rocheux. Protégeable régulièrement sur le rocher.
Retrouvez le topo complet de cette voie auprès de notre partenaire Camp to Camp !
Ben c’est pas dur: l’est au bout de la corde, le Rémi… J’ai droit à mon image?!
En tous cas, jolie réalisation! Bon, c’est vrai que, vu d’ici (Oisans), l’accès en bennes et le stop-ski, ça fait un peu « petit joueur », mais vous vous êtes rattrapés en passant la nuit là-haut…
Dormir à 2 dans les toilettes de l’aiguille du midi, ça c’est l’esprit montagne ;)
Bien joué, très belle ligne en tous cas !
En plus l’avantage, c’est d’avoir des spectateurs …
Salut mich
C’est plus confort que ça en à l’aire! En fait je suis sur que tous ces articles te donne envie de laisser tomber le ski et de te mettre sans plus attendre a l’alpi !
Raph
Bonjour et bravo de la part de l’auteur de la premiere. Maintenant que je ne grimpe que devant mon ecran, je suis tombe par hasard sur ce nom de Eugster. D’ou provient-il ? J’ai bien trouve un Dr Eugster sur le net mais je doute qu’il se soit fait la goulette. Et pour info, lors de la premiere, on avait fait le piton rocheux du haut avec sortie entre les deux bennes, Plus directe, yapa ! et encore merci aux gars du tele qui suivaient nos ebats, nous ont attendu et ont retarde la derniere benne pour nous. Cdlt
Un grand merci pour votre message Monsieur Hugonnot.
C’est un honneur d’avoir un commentaire sur notre blog de l’auteur même de cette première :-)
Chapeau bas pour cette très belle première ascension en 1964 ! Très beau couloir !
Effectivement, nous n’avons pas trouvé non plus pourquoi ce couloir se nommait ainsi.
Cordialement,
Cédric
Bonjour Cedric, j’ai trouvé l’origine d’Eugster ». En 1912 une dame Renée Eugster fait une tentative d’ascension de la face N de l’aig. du midi. On en trouve la trace dans le guide Vallot, mais la cordée n’arrive pas en haut et redescend. De retour dans la vallée, la Dame semble t-il en mal de publicité fait une description assez fantaisiste de l’itinéraire, publié dans « La Montagne » n° 11 de nov. 1912, avec un tracé ne correspondant pas à la description de ses guides dans le Vallot. Dame Eugster n’a probablement jamais traîné ses bottines dans ce couloir, et l’équipement de 1912 ne le permettait pas, surtout à la descente. D’ailleurs on fait la « Eugster » en skis, et c’est sur les pentes à l’est du couloir. Mais laissons à Renée Eugster le bénéfice du doute, et sa gloire passée, ce qui ne change rien à l’itinéraire, même s’il ne s’appelle pas voie Hugonnot-Marjou comme il devrait.
Bonjour Cédric, je sais pourquoi apparaît « Eugster ». C’est le nom d’une dame qui a fait une tentative d’ascension de la face nord en 1912 et dont on trouve trace dans le guide Vallot. La cordée du redescendre faute d’être arrivée au sommet mais la dame, peut être en mal de pub, fit une description fantaisiste de son aventure avec un croquis approximatif publié dans La Montagne N° 11 de Nov. 1912. Miss Eugster n’a probablement pas traîné ses bottines dans ce couloir, sans doute impossible à gravir avec l’équipement existant et elle a probablement gravi les pentes à l’est, qui se descendent à ski (on parle de la Eugster 1 ou de la 2 ??) Bon laissons à cette dame le bénéfice du doute, ce qui ne change rien à ce bel itinéraire direct , qui se terminait sur le rognon rocheux et aboutissait entre les deux bennes, même s’il devrait plutôt s’appeler « Voie Hugonnot-Marjou ».