Pierrick Fine fait partie de cette nouvelle génération qui apporte un vent de fraîcheur sur l’alpinisme. Son ouverture au Pakistan dans la face sud du Sani Pakkush (6 951 mètres) avec son compère Symon Welfringer en pleine pandémie est une belle aventure, récompensée par un piolet d’or, prix emblématique du monde de l’alpinisme.
Au delà des expés et des premières, Pierrick est un amoureux de la montagne sous toutes ses formes – grimpe, cascade de glace, canyoning, ski et randonnée – qu’il combine à travers son activité de guide de haute montagne. Nous abordons dans cette interview son parcours, ses expériences et ses projets.
Salut Pierrick, peux-tu nous parler un peu de ton parcours ?
J’ai commencé la montagne petit, avec le Club Alpin Français. Je faisais un peu de tout, randonnée, grande voie… Après je suis entré au lycée montagne à Moûtiers. On passe le bac en 4 ans et on a 10 semaines par an pour aller en montagne. Des guides nous encadrent, et globalement, ils nous forment sur trois choses. Tout d’abord la culture montagne, pour savoir pourquoi on est là, qu’est-ce qu’on fait là, et pour que l’on soit conscient de notre environnement. Ils nous forment aussi pour que l’on puisse se présenter aux tests techniques : Accompagnateur en Moyenne Montagne, pisteur, Brevet d’État escalade ou Brevet d’État ski… en fonction des envies de chacun. Moi par exemple, j’ai commencé l’AMM et le BE escalade, qui à l’époque intégrait le canyoning. Enfin ils nous forment et nous donnent des billes pour que l’on puisse aller en montagne en toute sécurité.
C’est d’ailleurs pendant le lycée que j’ai commencé la cascade de glace et la compète (ndlr : il a terminé vice-champion du monde des moins de 22 ans en 2015), d’abord en jeune puis plus tard chez les adultes. En parallèle j’entrais à la fac en STAPS. J’ai fait une licence mais je n’ai pas continué sur un master car je n’avais pas envie de me retrouver dans un bureau. C’est pourquoi j’ai refait une licence entraînement, et j’ai commencé à entrainer les équipes de France jeunes de cascade de glace. Et puis, j’ai passé le guide de haute-montagne !
Qu’est-ce qui te motive en montagne ?
En tant que guide, le plus important pour moi c’est le partage, l’interaction avec les gens. Ça paraît un peu bateau de dire ça, mais ce qui me plaît c’est de vendre du bonheur, que les gens profitent et soient contents. Je trouve ça hyper gratifiant comme boulot. Et on est dans un cadre superbe, donc c’est d’autant plus agréable. Moi, je suis heureux d’être en montagne, et j’ai envie de transmettre ce sentiment à la personne qui m’accompagne. Et je suis heureux d’être en montagne pour plusieurs raisons. Il y a la nature, le côté liberté car tu vas ou tu veux. Le côté aventure, tu sais pas sur quoi tu vas tomber et tu vas t’adapter; et puis aussi le côté challenge : se mettre la trash, se faire mal, avoir le goût du sang dans la bouche ! Bref, se dépasser pour que ça le fasse !
Une source d’inspiration, une idole ?
Je n’ai pas vraiment d’idole, mais j’apprécie Sam Baugey pour son côté « sans prise de tête ». J’avais adoré son livre « sales gosses ». Adolescents, on regardait tout le temps ses vidéos où il ne se prenait pas au sérieux ! (ndlr Sam Beaugey a récemment publié en 2021 « petits désastres » aux éditions Guérin, qui relate ses (més)aventures en montagne partout dans le monde, en Himalaya ou à travers les pôles).
Tu es plutôt goulotte hivernale et lyophilisés ou grimpe au soleil et barbecue ?
Les deux ! Ce que j’aime en montagne c’est la diversité. Être polyvalent, pour moi, c’est aussi bien grimper en falaise que brasser de la neige, et j’adore faire les deux. J’aime même grimper à l’intérieur et faire de la résine, du moment que je peux choisir ce que je veux et varier les plaisirs.
As-tu un régime spécial ?
Non, je mange ce qui me fait plaisir : raclette, légumes, viandes, bonbons… J’essaye simplement d’accorder mon alimentation à la saison : j’évite les tomates l’hiver par exemple.
Ton meilleur souvenir en montagne ?
L’ascension du Cholatse (6440m, ED, VI, M5+) au Népal cet hiver est un souvenir exceptionnel. On a passé 5 jours dans la face en neige et glace. Une longueur sur deux/sur trois, nous hissions les sacs dans cette face impressionnante de 1600 mètres qui était toujours plus raide… À la fin, c’était franchement déversant, avec une immense corniche de neige en forme de vague qui me surplombait. Pour passer, j’ai creusé un tunnel à l’intérieur; et plus j’avançais, plus la glace changeait de couleur et devenait bleue… À la fin, j’ai débouché en haut sur l’antécime, et là, grand spectacle ! Plein soleil avec les sommets de l’Himalaya tout autour et en face de moi, l’Everest. Les copains m’ont rejoint alors que les montagnes, Nuptse, Lhotse s’illuminaient d’une lumière rose-orange tout autour. Nous étions tous regroupés sur l’antécime, et le sommet était tellement fin qu’on pouvait à peine tenir à trois en haut. On avait l’impression d’être à califourchon en plein milieu du ciel avec 1600 mètres de vide de chaque coté !
Passons du Népal au Pakistan, tu peux nous parler un peu du choix de l’ascension au Sani Pakkush ?
C’était à l’automne 2020, et à la base, nous pensions aller au Népal. Avec la pandémie, la plupart des frontières mondiales étaient fermées. Plus personne ne voulait partir, et nous nous sommes retrouvés à deux, Symon et moi. On s’est demandé où aller, et il n’y avait que 5 pays dans le monde à avoir leurs frontières ouvertes, notamment le Pakistan.
Le problème c’est qu’on y va rarement à l’automne à cause du mauvais temps… mais cette année là, on a vu qu’il était tombé beaucoup de neige en été, et on s’est dit qu’il allait peut être faire beau à l’automne avec de la neige dans les faces, donc idéal pour du mixte ! Alors pourquoi pas le Pakistan, mais il restait à peine trois semaines pour faire toutes les démarches. Finalement, nous avons eu toutes les autorisations du gouvernement une semaine avant, mais encore fallait-il arriver jusqu’au Pakistan…
Le nom de la voie, « Revers gagnant » a donc une certaine signification…
Oui, pour l’anecdote, on a failli ne pas arriver à l’aéroport pour embarquer. J’avais une Clio à 400 euros qui avait 450 000km. En partant pour l’aéroport, un premier voyant s’allume, puis un deuxième… et sur le trajet, la voiture commence à clignoter comme un sapin de noël et à faire un bruit de plus en plus fort avec de la fumée qui sortait du capot. En arrivant en vue du terminal, plus possible d’accélérer, et la voiture nous a lâché dans une explosion de fumée blanche. Plus possible de faire demi-tour !
En arrivant au Pakistan, c’était un peu l’inconnu car il n’existait pas de photos de la face qu’on voulait faire. On ne savait pas non plus si l’ascension était faisable, et sur place, c’était assez compliqué car les porteurs faisaient grève et confondaient mètres et pieds. Niveau météo, ce n’était pas évident car il tombait de la neige dans la nuit. Au camp, on a eu de la neige plusieurs nuits de suite, jusqu’au moment où on s’est rendu-compte que l’on voyait les étoiles… On est donc parti dans la voie avec de super conditions, beau temps et pas plus de 30km/h de vent. Nous avons quand même eu quelques aventures pendant l’ascension, et on a grillé un joker avec une avalanche qui nous est tombé dessus, ce qui a déchiré nos sacs et arraché une bretelle du sac de Symon. Mais le sommet a été atteint, d’où le nom, revers gagnant, car au final, ça a marché !
Pour cette ascension, tu as été récompensé d’un Piolet d’or. Que t’apporte cette nouvelle reconnaissance ?
En fait, c’est la voie qui a été récompensée, car le piolet d’or n’est pas décerné à une personne (ça peut l’être sur un piolet d’or carrière). C’est avant tout pour la voie. Il y a plusieurs critères : l’engagement, l’aventure, la nouveauté… Le côté exploratoire et éthique est important, ce qui signifie par exemple pas de cordes fixes, ou pas d’oxygène.
Personnellement, cette récompense n’a rien changé, et je trouve ça bien. D’ailleurs, nous avons reçu la récompense un an après cette ascension, donc nous avions un peu de recul. Au niveau de la notoriété, pas de gros changement. Pour moi, le but c’est de devenir un vieil alpiniste et de vivre plein de choses. Messner disait « 50% des alpinistes meurent dans leur lit ».
On te voit très régulièrement à Montania depuis 7 ans :-)
C’est vrai, je viens ici quand je peux alors que j’habite à Grenoble, et je viendrais même si je déménage, à Briançon, en Corse, en Russie ou au Pakistan ! Bon j’exagère un peu…
D’ailleurs, je me rappelle qu’il y a quelques années, ça m’avait marqué, j’étais venu au magasin. Vous m’aviez orienté sur un article idéal pour mes sorties, mais vous ne l’aviez pas en magasin. Et là vous me dites d’aller voir chez les concurrents car vous ne vouliez pas me vendre autre chose. Ça m’avait surpris, et vous m’aviez dit que vous n’étiez pas des vendeurs mais des conseillers ! Et vous êtes les seuls en France à distribuer des marques comme Direct Alpine, Sir Joseph…
À ce propos, qu’est ce que tu utilises comme équipement ?
J’ai pris tout mon matos de ski chez Montania. J’ai deux paires de skis de rando, des Hagan et les Scott Superguide. Pour les chaussures, j’avais opté pour des F1, ainsi que des Alien chez Scarpa. Niveau matelas de camping, j’avais pris un Thermarest, et pour les sacs à dos j’utilise Blue Ice etc…
Quels sont tes projets pour 2022 ?
Au printemps, je projette de partir en Alaska, pour l’ascension du Denali (6190m), un sommet assez engagé de par l’éloignement et les conditions climatiques.
Le mot de la fin ?
Continuez comme ça !
Merci à toi Pierrick pour le temps que tu as consacré à cette interview !
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site professionnel de Pierrick Fine : https://pierrickfineguide.com/
Merci de votre lecture,
David