S’il fallait résumer notre ascension dans la face sud du Ketil, je dirais que : 1450 mètres, c’est grand ! Se prendre le but 70 mètres sous le sommet après … 1380 mètres de grimpe, c’est dur ! Faire du canyoning, c’est marrant. Mais c’est encore mieux avec une combinaison en néoprène. Et surtout, quel plaisir de passer quatre jours dans une face à l’autre bout du monde !
Le 16 juin, on sort tout juste de la plus grosse et longue tempête que nous ayons essuyée depuis le départ de Cherbourg. Trois jours d’une mer déchaînée, des vagues énormes qui déferlent et tentent de faire chavirer notre bateau. Le vent n’est quant à lui pas en reste, 40 nœuds de moyenne. Quand enfin il diminue, on est tout proche du Groenland, mais un nouveau danger nous guette: la glace!
L’arrivée est grandiose, des big walls tous plus beaux les uns que les autres : l’Ulamertorsuaq, le Half Dome, le Naltumasortoq, le Pingasut… On est comme des fous devant tout ce potentiel de grimpe. Alors la grande question c’est : que faire ?!
Nous avons quelques topos des faces principales, mais après six mois sans avoir touché une prise, tout nous paraît très dur…
Après une tentative avortée dans une voie mixte artif et grimpe au Nalunasortoq (le livre), on décide de déposer tout le matériel au pied de la face Sud du Ketil pour tenter la voie Turbo : 8+ UIAA, A2.
Retour au bateau pour préparer le matériel manquant et prendre un peu de repos. Trois jours plus tard, au pied de la face, la montagne nous écrase complètement de toute sa hauteur. Ce mur vertical de 1450 mètres me donne l’impression d’être tout petit dans ce monde de géant. Le lendemain il est 13h30 lorsque Bruno et moi partons dans une grande rampe permettant de rejoindre la voie à proprement parler. Pendant ce temps, Benjamin fait les portages de sacs jusqu’à l’aplomb du lieu convenu pour hisser. Très vite on se rend compte qu’on s’est fait piéger par la taille de la face ! Ce n’est pas une longueur qu’il nous faut pour atteindre le lieu de hissage, mais quatre…
Les longueurs suivantes sont bien : montagne, cheminée de neige, rampe en caillou délité, névé ne demandant qu’à partir… C’est plutôt plaisant, jusqu’au moment où la rampe se transforme en canyon. C’est très désagréable toute cette eau glacée qui pénètre dans toutes les ouvertures de nos habits sans qu’on puisse y changer quoi que ce soit. En moins de dix minutes, le verdict tombe : il n’y a plus rien de sec… Ce n’est pas comme si on partait pour quatre jours en paroi !
Dans la première longueur de vraie grimpe, je tente de reprendre confiance dans ce style si particulier de la grimpe en fissure, où escalade physique et subtile ne font plus qu’une ; tout ce que j’adore. Mais ma joie est de courte durée, au bout de 20 mètres, je me retrouve nez à nez avec une dalle lisse et non protégeable de 30 mètres. N’ayant plus la marge physique que j’avais avant, je préfère ne pas prendre le risque de me retrouver complètement à l’agonie au milieu de la dalle sans pouvoir descendre. La décision fait mal mais c’est la bonne, je désescalade et repart dans le canyon pour emprunter la voie des Autrichiens.
L’escalade n’est pas facile, c’est physique, pas aisé à protéger avec ces cascades d’eau glacée qui nous tombent dessus. Et pour ne rien arranger on ne peut pas hisser les sacs, alors on les traîne tant bien que mal derrière nous. Il est 2h30 quand je m’extirpe enfin de cette rampe. Une heure plus tard tout le monde dort sur une vire presque confortable.
Le lendemain dans un terrain montagne tout en traversée, on galère physiquement et mentalement. Je n’arrête pas de me faire peur dans ce caillou pourri où je dois grimper avec un sac plus lourd que je n’en aie jamais eu en montagne. Bruno et Benjamin ne sont pas non plus en reste. En plus de leurs sacs, ils doivent traîner le sac de hissage que je ne peux pas hisser dans ce terrain. Vers 19h, alors que je bataille dans une longueur dure et sableuse je m’entends dire que ce serait sympa comme bivouac. Il ne faut pas longtemps pour me convaincre, je finis les derniers mètres, installe un relais et descends. On verra demain pour déséquiper.
On décide alors de continuer jusqu’à la voie des Français et de redescendre. Ce n’est pas facile : pour toute information, nous avons une photo de la face avec le tracé approximatif des deux voies. À 13h, le troisième jour dans la voie, on croise enfin la voie des Français. Les relais sur coinceurs c’est sympa mais c’est quand même rassurant d’avoir deux bon spits ! Seulement, plus personne ne veut descendre. Alors on abandonne tout le matériel superflu pour ne garder que l’équipement de grimpe, de l’eau, un peu de nourriture et le réchaud.
C’est fou comme je me sens libéré, je peux enfin courir sans risque dans les longueurs. Le caillou devient de plus en plus sain (si l’on m’avait dit que je grimperais dans du rocher pourri au Groenland, je n’y aurais pas cru). On avale 400 mètres de voie rapidement, pour se retrouver perdus dans cette muraille de granit. Tant pis, je m’engage dans un mur à fissures verticales par où j’espère pouvoir trouver un cheminement vers le sommet. De la grimpe, de la vraie, quel plaisir! À chaque longueur, petite appréhension de savoir si ça va sortir. Les trois premières sont les plus dures : 6b, 6a et 6c. C’est le dièdre en 6c qui me donnera le plus de mal, celui-ci étant complètement mouillé. Toute l’équipe y prend quand même goût. D’autres longueurs en 5+ suivent avant que je ne retrouve la voie.
À peine dedans que c’est de nouveau la galère ! Je me retrouve à remonter une plaque de neige vraiment raide. À chaque pas je recule de deux, me demandant à quel moment je vais me faire éjecter. Quand enfin j’arrive dans une fissure, je suis tellement gelé des doigts et des pieds, que je n’ai aucun scrupule à tirer sur tous mes coinceurs…
On finit par arriver au pied du dernier bastillon, 80 mètres sous le sommet pour poser le bivouac. Allégés de nos duvets, on ne se prépare pas à passer la meilleure nuit de notre vie. Au départ tout va pour le mieux, mais rapidement le froid s’insinue par nos jambes, nous glaçant tout entiers.
Heureusement, il n’y a pratiquement pas de nuit, alors à 4 heures, c’est vite vu : on prépare le petit déj !
Il reste une longueur dure avant le sommet, un off width de 25 mètres suivi d’une très grosse cheminée. Il fait vraiment froid et le off width est tout mouillé. Au point où j’en suis, j’y vais en artif. Cette première difficulté passée, je me dis que c’est gagné. C’était sans compter sur la glace et l’eau présentes dans la cheminée. Après 4 jours en tête de cordée je commence à être mentalement fatigué et je n’ai pas vraiment envie de me faire un vol plané de 40 mètres, sous prétexte d’un sommet. Surtout quand le premier village est à trois jours de marche.
Je redescends. Benjamin, tout excité, prépare son parapente pour décoller de la petite vire. Ce n’est vraiment pas grand et il y a beaucoup de cailloux, autant de pièges à suspentes. Bruno et moi l’aidons comme nous pouvons, en tenant les suspentes bien hautes. Le premier essai est raté, le vent n’étant pas vraiment favorable. Après 10 minutes d’attente, le vent est enfin de face, il n’y a pas de temps à perdre. Benjamin court, saute et disparaît dans un cri de fin du monde. Le temps d’une seconde mon regard croise celui de Bruno, tout aussi inquiet, quand soudain il réapparaît montant comme une flèche.
Pendant quelques minutes, on le voit paisible en train de voler. D’ici 20 minutes il sera bien au chaud dans le bateau… Pour Bruno et moi, il n’y a pas de temps à perdre, ce n’est pas comme s’il nous restait 1380 mètres de rappel… Au final la descente se sera bien passée, même si après avoir bloqué le deuxième rappel et mis une heure à s’en sortir, on a commencé à avoir des doutes sur la suite des événements !
Matériel utilisé:
Doudoune chaude Koteka Jacket Sir Joseph
Duvet pied d’éléphant Sir Joseph
Veste softshell de grimpe Dru Jacket Directalpine
Polaire Lava Directalpine
Pantalon Cascade Plus Directalpine
Sac à dos Guide 35+ Deuter
Jeu de camalots jusqu’au n°5 Black Diamond
Baudrier Sama Petzl
Corde à double Petzl