Deux alpinistes locaux, Aurélien Grange et Jean-baptiste Desmoulières, ont ouvert une nouvelle voie mixte sur l’à-pic de Badon, dans le Massif de Belledonne. Cela se passait le 20 mars dernier, après une première tentative une semaine auparavant. Voici le compte-rendu d’Aurélien.
La voie s’appelle « Coup de batte au châton ». N’y voyez aucunement une contrepèterie ! :-) La cotation annoncée : TD/TD+, M4/M5, 300m.
Présentation des deux protagonistes
Aurélien Grange, 31 ans. Ingénieur originaire de Chambéry, passionné de montagne, à la recherche de lignes peu fréquentées depuis ses jeunes années. A la chance de continuer à pratiquer en amateur, gardant ainsi son enthousiasme pour bartasser dans ses massifs préférés, par exemple Belledonne !
Quelques courses d’Aurélien :
Chartreuse : dièdre du Brouillard, dièdre des Choucas
Belledonne : traversée intégrale à skis en 32h, traversée partielle des arêtes en 3 jours
Mont-Blanc : La Ginat aux Droites, Arête sud de la Noire de Peuterey
Yosemite : Le Nose, Half Dome
Écrins : Face nord-ouest du Dôme, Pilier sud Barre, Pilier ouest de Grande Ruine, Face Sud de la Meije, la Devies-Gervasutti et la Grassi à Ailefroide
Jean-baptiste Desmoulières, 31 ans. Ingénieur chambérien, grand amateur de montagne hivernale, et toujours sur les bons coups !
Quelques courses de Jean-baptiste :
Mont-Blanc : Arête sud de la Noire de Peuterey, Innominata au Mont Blanc, Voie des Suisses aux Courtes
Écrins : Z à la Meije, Coste Rouge à Ailefroide
Alpes du sud : voie Coolidge au Viso
Le récit
Cela faisait plus d’un an que cette idée me trottait dans la tête, me valant des nuits blanches à chaque fois qu’il pleuvait en altitude. Bon ou pas bon le Badon ?!
Et là, trop impatient d’attendre (que dis-je, de trépigner) une année de plus, de baver sur mes photos de repérage, j’obtiens quelques clichés montrant des conditions moyennes sur les goulottes sortant à 2500m. Mais on voit une coulure rarement formée entre les deux névés de l’à-pic de Badon. Il ne m’en faut pas plus pour craquer !
Entre les « zaspirants-guidos » et les « nouveaux papas », trouver un compagnon de cordée en un claquement de doigts relève aujourd’hui de l’exploit. Ou pas.
JB, le célèbre destroyer de trace chambérien, est évidemment aussitôt emballé par l’affaire. Les prévisions Météo France, donnant 10cm de neige et précipitations à partir de 21h, nous laissent très optimistes pour passer une journée correcte.
Nous partons donc à 6h45 de Fond de France, bien motivés. Ciel bleu. Plus on se rapproche de la face, plus l’espoir diminue : la complexité des systèmes de goulottes de la face est telle qu’un observateur au point de vue unique lâcherait très vite l’affaire. La face est raide, compacte, que dalle !
Je lâche même à JB : « on ira faire une petite route du Rhum pour sauver la journée, mais tant qu’à être là, allons à l’attaque ! ». Et là, première bonne surprise de la journée : une goulotte camouflée raye le ressaut. Les conditions y sont super, ça finit par un passage facile, très esthétique et étroit.
On choppe un effet kiss cool, eh bien bon ! Pour prendre pieds sur le névé, un petit mur « rhododendesque » nous barre l’accès, la neige n’ayant pas coulé en haut de la rampe. C’est assez sport, avec douche de poudreuse, et escalade sélective de touffes. Au relais, le grand dièdre au-dessus du névé m’est toujours invisible. Je me sens comme un pélerin attendant de visiter une cathédrale maintes fois fantasmée, et dont la porte restera peut être fermée.
Curieux mais pas pressés non plus ! Le meilleur moment… ;-)
Et là, JB me rejoint, je pointe le nez en nageant sur le névé ! Ce n’est pas pire, le dièdre semble presque formé intégralement et n’a pas l’air « sur-raide » dans ses parties les plus fines.
Les conditions y sont excellentes, que dire ! Deux supers longueurs, à la sortie du dièdre, un plaquage sur des dalles qui demande pas mal de concentration. À la descente, j’ajouterai un piton avec rallonge dans ce pas, le rendant correctement protégé.
Il est 15h00, c’est que nous n’avons pas couru, et la perturbation nous a rattrapés : il neige. Trop curieux, je rempile une longueur de plus. La vire-grotte espérée est en fait une fissure large déversante, et je suis attiré par un début de goulotte butant sur un mur, situé plus à droite. Le mur est franchi en artif dans une belle ambiance. La neige colle partout, et le pas de sortie punchy est enlevé à la hussarde.
Je débouche sur une rampe dalleuse recouverte d »un plaquage fin, la visibilité ne dépasse pas 10m. Là, c’est le moment où il faut rentrer ! On s’en retourne donc en rappel, contents d’être arrivés jusque-là, dans des longueurs soutenues et variées, du plus pur style Belledonnien, à un standard presque Chamoniard.
L’effet positif ne dure que 48h. L’observation incessante des clichés du haut de la face n’aident pas à l’apaisement de l’âme, élément obligatoire pour un bon sommeil ! L’iso s’enflamme et la météo annonce encore moche ce week-end. Je joue le tout pour le tout et j’appelle JB. Merci Natacha, JB se libère encore pour ce vendredi. Nous irons coucher au refuge de Combe Madame cette fois-ci, après un repas, la « courgette-tomate » pour les intimes, avalé sur le parking.
Jugez plutôt : à 17h30, je parle encore à mon chef depuis Valence. À 22h, nous sommes allongés sur les bas flancs : un modèle d’efficacité qui pourrait faire des émules ?! Tout ça pour méditer sur la douceur ambiante, le probable non-regel, ainsi que la possibilité de prendre un but !
Au lever, JB, dont le don du sang de l’avant-veille a visiblement laissé des traces, tient sa motivation des grands jours ! Imperturbable, mon seul argument face à la chaleur évidente est : « tant qu’à être là, autant aller voir ! ». Nous déroulons cette fois-ci jusqu’au point ultime atteint, les conditions étant rendues plus sèches jusqu’au dièdre (L1 plus technique, pas de brassage ensuite).
Ouf, le plaquage de sortie du dièdre n’a pas complètement fondu ! En fait, la longueur dalleuse redoutée ne permet, a priori, pas une traversée en arc de cercle comme espéré. Mais les conditions plus sèches révèlent des pièges à coinceurs, du rocher en 4b, quelques petits plaquages, le tout menant sans trop de problème 20m plus haut.
Je suis maintenant persuadé que « ça va le faire ». Je devine la petite goulotte-couloir tombant sur la fissure déversante quelques mètres à ma gauche. En bon pote de pères de familles présents ou futurs, je fais durer le plaisir encore une fois en assurant la désescalade envisagée par une belle cornière équipée d’une rallonge et d’un maillon !
Ceci fait, une courte traversée et bingo : ça connecte sans souci. JB me rejoint, je gravis une dernière longueur encore grimpante et esthétique, alors qu’attendue facile, puis nous débouchons sur la crête.
La neige n’ayant plus beaucoup de consistance à cette altitude, nous lâchons les vélléités de sommet : après tout, l’objectif principal est atteint, et nous nous laissons glisser dans un couloir typique de cette complexe construction, qu’est le groupe du Petit Badon.
Topo de la voie
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